mercredi 26 novembre 2014

(R)évolutions et Oeillets


La Liberté, pour quoi faire? Bernanos

Je suppose que le mot « révolution », depuis celle de 1789, n'a jamais été autant utilisé dans l'histoire. Utilisé en tant que tel, ou agrémenté d'adjectifs variés : révolution culturelle, révolution populaire, révolution nationale, révolution socialiste). La multiplicité des études concernant la Révolution Française, ainsi que son impact sur le long terme dans l'histoire a certainement contribué à ce phénomène. A cela j'ajouterai évidemment l'émergence de la théorie mariste, qui énonce le communisme comme l'objectif même de la Révolution. Autrement dit, on peut ainsi évoquer l'utilisation et la signification d'un terme pluriel, « révolution(s) ».

Néanmoins, les années 70 constituent une période charnière puisque nous assistons à l'effondrement, alors idéologique, si ce n'est effondrement, au moins un refroidissement vis-à-vis de l'idéologie communiste. La prise en compte des régimes soviétiques, dits communistes, comme des régimes totalitaires contribue en grande partie à ce désenchantement. La chute du mur en 1989, événement planétaire s'il en est, et l'éclatement de l'URSS achève le processus, avec la consécration, au final, du modèle libéral de démocratie parlementaire.

Pourtant, les Révolutions continuent à s'opérer, mais le terme à perdu de son éclat vermeil. « Révolution orange », « Révolution des Roses », « Révolution du Jasmin », la douce évocation des couleurs et des fleurs coïncide à l'abandon d'une syntaxe marxiste comme cadre organisateur et théorique de la révolte. Oui, les Révolutions se déroulent, de manière événementielle, mais leur but n'est plus le communisme. Elle nous paraissent à l'heure d'aujourd'hui qu'une succession de renversements sans forcément conjuguer à ces renversements l'idée d'une civilisation qui avance. Gageons toutefois qu'elles avancent vers l'acquisition des libertés fondamentales aux êtres humains, même si ces dernières doivent tenter de s'épanouir dans le modèle dominant des démocraties libérales de type occidental. A telle point que le communisme est plus que jamais aujourd'hui une utopie, finalement.

Parfois, il me semble que le Portugal va toujours un peu à contre-courant de l'Histoire, où du moins, toujours un peu à coté. Alors que le milieu des années 70 est marqué par l' « effet Soljenitsyne », les capitaines d'Avril conduisent une révolution basée justement sur tout un vocabulaire marxiste : « lutte de classe », « nationalisation », « bourgeoisie », « prolétariat »… Selon le programme du Mouvement des Forces Armées, l'intention était alors de mettre en place une révolution socialiste menant à une société sans classe.

Il s'agissait alors d'un moment fort en Europe, et pourtant, après coup, il nous semble désespéré dans son originalité.
C'est peut-être la dernière révolution en Occident utilisant à ce point le langage marxiste et sa vision du monde.
C'est peut-être la première révolution à fleurs.
C'est peut-être la première révolution à ce point médiatique, et qui est originellement médiatique, puisque son déclenchement s'est fait par la diffusion radiophonique de Grandola Vila Morena, chanson de Zeca Afonso.

Et l'on pourrait disserter longtemps sur le 25 Avril et toute la période du PREC, si pleine d'émotions. Toujours est-il que sans juger, nous pouvons constater le renversement de la dictature, l'indépendance des colonies, et la conquêtes des libertés fondamentales. Et l'entrée de plein-pied dans le monde libéral des démocraties occidentales. Sans juger.

Toujours plus de révolutions, tant de révolutions que ce mot en perd son essence. Et toutes si médiatisées, au moment si fulgurant des images faisant le tour du monde en une fraction de seconde, qu'on ne sait plus quoi en penser. Elles se succèdent sans s'inscrire. S'oublient, se rappellent un peu plus tard, au gré d'une nouvelle image choquante.

A cet instant résonne cette interrogation de Bernanos, au crépuscule de sa vie : « La Liberté, pour quoi faire ? ».

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