La Liberté, pour quoi faire? Bernanos
Je suppose que le
mot « révolution », depuis celle de 1789, n'a jamais été
autant utilisé dans l'histoire. Utilisé en tant que tel, ou
agrémenté d'adjectifs variés : révolution culturelle,
révolution populaire, révolution nationale, révolution
socialiste). La multiplicité des études concernant la Révolution
Française, ainsi que son impact sur le long terme dans l'histoire a
certainement contribué à ce phénomène. A cela j'ajouterai
évidemment l'émergence de la théorie mariste, qui énonce le
communisme comme l'objectif même de la Révolution. Autrement dit,
on peut ainsi évoquer l'utilisation et la signification d'un terme
pluriel, « révolution(s) ».
Néanmoins, les
années 70 constituent une période charnière puisque nous assistons
à l'effondrement, alors idéologique, si ce n'est effondrement, au
moins un refroidissement vis-à-vis de l'idéologie communiste. La
prise en compte des régimes soviétiques, dits communistes, comme
des régimes totalitaires contribue en grande partie à ce
désenchantement. La chute du mur en 1989, événement planétaire
s'il en est, et l'éclatement de l'URSS achève le processus, avec la
consécration, au final, du modèle libéral de démocratie
parlementaire.
Pourtant, les
Révolutions continuent à s'opérer, mais le terme à perdu de son
éclat vermeil. « Révolution orange », « Révolution
des Roses », « Révolution du Jasmin », la douce
évocation des couleurs et des fleurs coïncide à l'abandon d'une
syntaxe marxiste comme cadre organisateur et théorique de la
révolte. Oui, les Révolutions se déroulent, de manière
événementielle, mais leur but n'est plus le communisme. Elle nous
paraissent à l'heure d'aujourd'hui qu'une succession de
renversements sans forcément conjuguer à ces renversements l'idée
d'une civilisation qui avance. Gageons toutefois qu'elles avancent
vers l'acquisition des libertés fondamentales aux êtres humains,
même si ces dernières doivent tenter de s'épanouir dans le modèle
dominant des démocraties libérales de type occidental. A telle
point que le communisme est plus que jamais aujourd'hui une utopie,
finalement.
Parfois, il me
semble que le Portugal va toujours un peu à contre-courant de
l'Histoire, où du moins, toujours un peu à coté. Alors que le
milieu des années 70 est marqué par l' « effet
Soljenitsyne », les capitaines d'Avril conduisent une
révolution basée justement sur tout un vocabulaire marxiste :
« lutte de classe », « nationalisation »,
« bourgeoisie », « prolétariat »… Selon le
programme du Mouvement des Forces Armées, l'intention était alors
de mettre en place une révolution socialiste menant à une société
sans classe.
Il s'agissait alors d'un moment fort en Europe, et pourtant, après coup, il nous semble désespéré dans son originalité.
Il s'agissait alors d'un moment fort en Europe, et pourtant, après coup, il nous semble désespéré dans son originalité.
C'est peut-être la
dernière révolution en Occident utilisant à ce point le langage
marxiste et sa vision du monde.
C'est peut-être la
première révolution à fleurs.
C'est peut-être la
première révolution à ce point médiatique, et qui est
originellement médiatique, puisque son déclenchement s'est fait par
la diffusion radiophonique de Grandola Vila Morena, chanson de Zeca
Afonso.
Et l'on pourrait
disserter longtemps sur le 25 Avril et toute la période du PREC, si
pleine d'émotions. Toujours est-il que sans juger, nous pouvons
constater le renversement de la dictature, l'indépendance des
colonies, et la conquêtes des libertés fondamentales. Et l'entrée
de plein-pied dans le monde libéral des démocraties occidentales.
Sans juger.
Toujours plus de
révolutions, tant de révolutions que ce mot en perd son essence. Et
toutes si médiatisées, au moment si fulgurant des images faisant le
tour du monde en une fraction de seconde, qu'on ne sait plus quoi en
penser. Elles se succèdent sans s'inscrire. S'oublient, se
rappellent un peu plus tard, au gré d'une nouvelle image choquante.
A cet instant
résonne cette interrogation de Bernanos, au crépuscule de sa vie :
« La Liberté, pour quoi faire ? ».