Il
fait beau et chaud en ce jeudi 25 avril 2013. Un temps idéal pour se
prélasser au soleil. Les plages étaient bondées, entre calme
bronzage et cris d'enfants. Ce 25 avril est un jour férié au
Portugal, bien que peu de commerces soient effectivement fermés. Bon
nombre d'employés, en ces temps de crise, travaillent tout de même.
Sous prétexte de crise économique, les droits si durement acquis
sont méthodiquement bafoués et mis de coté par les pouvoirs
politiques.
Malgré
tout, la longue fin de semaine qui se prépare est synonyme de
courtes vacances pour une grande majorité, et nombreux sont les
départs pour l'Algarve et les plages. Pourtant, ce jour férié
n'est pas anodin. Ce n'est pas une fête religieuse, mais
l'anniversaire de la Révolution des Oeillets.
Couple s'embrassant. A coté, une image de Salgueiro Maia |
Ces oeillets ne
poussèrent pas au milieu des grains de sable. Le 25 avril 1974, ils
ont fleuri aux fusils de soldats révoltés, las du feu de la guerre,
et de la nuit sombre du fascisme. Ils étaient la liberté partout
dans les rues de Lisbonne et du Portugal. Coeur humble de la
révolution naissante, l'oeillet rouge commençait alors à battre,
mettant fin à une dictature grisâtre et moribonde. Le Portugal
redécouvrait l'Histoire.
Ce fut une révolution
incomparable. D'humbles militaires, hommes avant tout, choisirent
humblement de mettre fin au régime qui opprimait leur pays. Se
révoltant contre l'injustice, ils étaient conscients d'accomplir
leur devoir en libérant le pays de la longue nuit dans laquelle il
était plongé. Ils le firent pacifiquement, l'oeillet au canon.
Rendons hommage à ces soldats, et rendons hommage également aux
quatre hommes tués par la police politique, la PIDE, devant son
siège. Le monstre hideux du fascisme, à terre, rendait là son
dernier souffle. Plus tard dans la journée, les portes de prisons
s'ouvraient, libérant les prisonniers politiques. Les journaux ne
subissaient plus la censure. La peur s'était effacée, remplacée
par la parole, la PAROLE, libre !
Trente-neuf
ans plus tard, les commémorations du 25 avril résonnent au chant de
Grandola Vila Morena. Toujours cet hymne, cette chanson de
José Afonso, interdite par le régime, qui fut le coup d'envoi de la
révolution. La dictature n'est plus, mais les revendications n'en
sont pas moins légitimes. Et les oeillets fleurissent partout. Ils
ne sont plus au canon des militaires mais à la poitrine des
manifestants de tout âge, rappelant ce pour quoi il est encore
important de se battre, et ce qu'il est essentiel de se souvenir.
Jeune garçon tenant un oeillet rouge |
Un oeillet au milieu de la foule |
Car il est moins question
ici d'action que de souvenir tant le défilé est consensuel.
Oeillets et Grandola Vila Morena. Lentement, le cortège se
rassemble au Marquês de Pombal, pour descendre ensuite dans le calme
l'Avenida da Liberdade. C'est aussi une sortie de famille : les
grands-parents, les enfants, les petits-enfants, arborant oeillets
rouge, chantent la mémoire du 25 avril 1974. Le peuple portugais
semble las, encore, défaitiste, abandonnant déjà, d'avance. Ca et
là, les sans-papiers, les ouvriers, les professeurs, les retraités,
les étudiants, les organisations politiques et même les policiers
défilent avec leur syndicat. La passion semble laisser place à
l'habitude. On manifeste par devoir presque plus que par envie.
Les ressortissants étrangers |
Les retraités |
Le cortège se réunit
au Rossio pour le discours. Peu à peu, les souvenirs paraissent plus
émouvant que la manifestation actuelle. Peut-être les gens sont-ils
déçu de ne voir que si peu de foule autour d'eux. Fatigué,
endolori, anesthésié, déçu par ses dirigeants, c'est affaibli que
le peuple traîne ses souvenirs. « Il est difficile de
travailler le ventre vide » interpelle un jeune couple au
chômage. Mais n'est-il pas tout autant difficile de se révolter le
ventre plein ? Quand peu à peu ses libertés lui sont ôtées,
que reste-t-il au peuple, comme dignité, comme espoir, si ce n'est
la capacité de l'homme, encore, toujours, à s'émouvoir ?
Fin du rassemblement, au Rosio |
Tout
semblait commencer, il y a 39 ans, quand, au Largo do Carmo, le
Capitaine d'Avril Salgueiro Maia obtenait la reddition de Marcelo
Caetano. Humble, simple, il le fit sans prétention, sans ambition.
Il le fit par devoir pour son pays, et pour le peuple. Au milieu des
rouges oeillets et de couplets de Grandola Vila Morena, il fut
un grand absent des commémorations. Que faire des symboles, sans son
action, qui fut celle de tous ces braves camarades, portés par le
désir d'une vie possible ?
L'assemblée populaire au Largo do Carmo |
Plaque commémorative en hommage au Capitaine d'Avril Salgueiro Maia |
Nous sommes peut-être
deux cents à l'assemblée populaire du 25 avril 2013, au Largo do
Carmo. C'est peu. C'est déjà ça de souvenir. Il est presque 20h.
La place se vide, des manifestants parlent du match du Benfica qui va
bientôt commencer. Un repas et une projection, avec les moyens du
bord, sont pourtant prévus suite aux prises de parole.
Une
plaque discrète, face au siège de la Garde Nationale Républicaine,
porte le nom de Salgueiro Maia. Des enfants disposent des oeillets
rouges en une belle couronne autour de son nom. Enfin un peu
d'émotion, quand l'évocation du souvenir transmet l'espoir.
Deux enfants disposant des oeillets en hommage à Salgueiro Maia |